GRUYÈRE La
grande Coraule
Pas à pas sous le cagnard
Six ans après l¹aller, La Grande Coraule a vécu dimanche
son retour. Partis de Château-d¹‘x pour les plus courageux, de Montbovon
pour la plupart, musiciens, chanteurs ou randonneurs ont marché et sué jusqu¹à
Gruyères. Reportage au sein d¹un défilé joyeux et bigarré.
Musique, danse et sourires au fil des 26 kilomètres de la Grande Coraule
«Vous êtes bien courageux!» Arrêtée au bord de la route,
cette automobiliste n¹en revient pas: des marcheurs viennent de lui expliquer
que tout ce cortège rejoint Gruyères à pied ou, pour une quarantaine d¹entre
eux, à cheval. Voire assis sur l¹un des nombreux chars.
Midi et demi à la sortie de Montbovon, en ce dimanche de canicule. Les plus
courageux participants à «La Grande Coraule, le retour» ont pris la route à
Château-d¹‘x il y a déjà plus de quatre heures. Au total, ils feront 26
kilomètres, derrière le comte Michel et la Belle Luce qui ouvrent l¹équipée
sur leurs chevaux. Partis à 400 du Pays-d¹Enhaut, ils sont rejoints par le
gros du cortège à Montbovon, lieu de leur première pause. L¹ambiance est aux
cors des Alpes et à la soupe de chalet. Déjà retentit l¹un des tubes de la
journée, A Molèjon.
Quelques centaines de mètres sur la route cantonale, le temps de saluer motards
et automobilistes étonnés et amusés. Vrai que ce cortège bigarré, qui s¹étend
sur des centaines de mètres, a de quoi surprendre. Aux nombreux bredzons et
dzaquillons, souvent portés par toute la famille, se mêlent des randonneurs
aux mollets noueux, sacs à dos et chaussures montantes, et des puristes en
costume médiéval.
Jouer pour le plaisir
Musiciens et chanteurs se mêlent, les traditionnels choeurs
mixtes et fanfares côtoyant des accordéonistes ou des joueurs d¹instruments
anciens venus de France ou d¹Italie. Et tous ces 4 x 4 plus utiles que
pittoresques, avec leurs remorques qui se peupleront au fil des kilomètres. Au
milieu, le groupe folklorique romontois Au fil du temps se distingue, avec son
château venu en droite ligne de la récente Fête des musiques de la Glâne.
Le cortège plonge dans la fraîcheur de la forêt pour aller traverser le pont
couvert de Lessoc. Quelques pique-niqueurs observent ce petit monde en souriant.
Déjà, on retrouve le cagnard. Pas de souci: la rafraîchissante fontaine de
Lessoc n¹est plus très loin. Autour d¹elle, La Zag, famille de musiciens
venue du Tyrol italien, assure l¹animation. Pour la énième fois, on entend ce
début de dialogue: «Ça va?» «Chaudement!...»
Satanée caravane jaune...
La caravane reprend sa route, ralentit, s¹arrête, repart. «Ce
n¹est pas les Champs-Elysées, mais ça bouchonne quand même», sourit une
dame. Les chars sont de plus en plus sollicités, les groupes de marcheurs s¹espacent.
Le soleil commence à chauffer certains mollets. La Zag, elle, continue à jouer,
juste pour le plaisir, face à cette bucolique vallée de l¹Intyamon. On passe
devant la chapelle du Buth, indifférente à cette riante procession. Quelques
bordiers applaudissent au passage et reçoivent des notes de musique en retour.
Au loin résonnent les cors des Alpes. La Zag leur répond, à coups joyeux de
tambourins et de cornemuse.
Arrivée à Grandvillard, où un lanceur de drapeau accueille les marcheurs.
Tout comme un grondement de tonnerre. Anodin: la pluie ne viendra pas rafraîchir
La Grande Coraule... Par l¹extérieur du village, le cortège atteint la maison
du Banneret, où attend le choeur mixte local. Cuncordia a Launeddas, une
dizaine de musiciens venus de Sardaigne, lui fait écho. Ils s¹ajoutent au cortège
et l¹accompagnent de leurs bourdonnements étranges, sortis de longues flûtes
aux allures de roseaux.
Entre Grandvillard et Estavannens, le soleil gagne encore en puissance. Au loin,
avance toujours cette satanée caravane jaune, la buvette roulante, qui se déplace
au même rythme que les marcheurs et joue une nouvelle version de la carotte et
du bâton... A défaut, quelques fraises des bois viennent rafraîchir les
gosiers. Le château de Gruyères, lui, fait son appari-tion sur sa fière
colline. Bien loin encore.
«C¹est loin...»
A Estavannens, il y a foule devant l¹école. Des dentellières,
impassibles, font une démonstration de leur art. Nouvelle pause et rafraîchissements
bienvenus. Les estomacs se manifestent: la soupe de chalet de Montbovon est digérée
depuis longtemps... «Il n¹y a rien à manger, c¹est une vergogne», se
lamente une dame. «Ça commence à être long», se plaint une autre. «C¹est
loin Gruyères...», entend-on encore.
L¹Adouréenne, groupe folklorique de Tarbes, redynamise tout le monde. De son côté,
Au Fil du temps lance une coraule, et y mêle le public. La faim et la fatigue n¹auront
pas raison des sourires et de la bonne humeur. Le bouffon Chalamala, qui suit le
cortège, demande une minute de recueillement: «Ce matin, à Estavannens, a eu
lieu la messe de trentième pour le compositeur Oscar Moret.» Silence
impressionnant et ému.
Vielles et «Vieux chalet»
Départ pour la dernière étape, ponctuée d¹arrêts et d¹attentes,
afin que tout le monde se regroupe. Les chevaux qui ouvrent le défilé piaffent,
avant le retour sur la route cantonale. Des touristes allemands descendent de
leur car, munis de leurs appareils photo ou de leurs caméras. Ultime montée et
nouvel arrêt. Les portables sortent des sacs ou des poches: chacun veut
annoncer son arrivée à Gruyères. Tout le monde descend pour finir à pied,
sous les applaudissements. Il est 18 h: l¹horaire est tenu à la minute près.
Vêtus d¹étranges peaux de bête, les Languedociens de Manja Cat accueillent
les marcheurs.
Dans la cité, la musique s¹élève dans tous les coins. Les Barbus de la Gruyère
suivent les Sardes. Le vieux chalet se mêle aux vielles, cornemuses, cromornes
et autres instruments de jadis. Sous l¹ombre bienveillante de l¹esplanade du
château, c¹est l¹heure de l¹apéritif, en l¹honneur du comte Michel et de
la Belle Luce. Et bientôt celle des premiers soins pour les mollets et les
nuques rougis.
Rendez-vous dans six ans?
Combien étaient-ils à marcher dimanche entre Château-d¹‘x
et Gruyères, pour cette deuxième Grande Coraule? «C¹est très difficile à
estimer, relève Raymond Gremaud, président du comité d¹organisation. La
formule était élastique, comme on le souhaitait, et nous n¹avons pas compté.»
N¹empêche que le nombre de participants au départ du Pays-d¹Enhaut a dépassé
les espérances des organisateurs: selon Raymond Gremaud, ils étaient 400 à Château-d¹‘x.
A Montbovon, ce nombre a plus que doublé, avant d¹augmenter encore au fil des
passages dans les villages. Au point de s¹allonger de manière impressionnante:
«Quand les derniers partaient de Grandvillard, les premiers étaient déjà à
Estavannens», poursuit Raymond Gremaud. La participation a été au moins égale
à celle de 1997, qui se déroulait de Gruyères à Château-d¹‘x.
Autre sujet de satisfaction, pour cette manifestation qui marquait les 75 ans de
l¹Association gruérienne pour le costume et les coutumes (AGCC): la fête du
dimanche soir a été très réussie, et celles qui animaient les villages fort
appréciées. Tout comme le concert officiel de samedi soir. En revanche, «nous
pensions qu¹il y aurait plus de visiteurs le samedi à Gruyères». Au total,
20 sociétés gruériennes et treize groupes de musiciens étrangers ont
participé à la manifestation.
Reste une question: y aura-t-il une troisième Grande Coraule? «A voir les
souvenirs que ramènent ceux qui ont participé, la manifestation est appelée
à être pérennisée», relève Raymond Gremaud. Le rythme doit encore être défini.
Le président de l¹AGCC émet toutefois une idée: «Pourquoi ne pas profiter
des années où le 8 juin tombe au week-end de la Pentecôte? Ce qui mettrait la
prochaine à nouveau dans six ans...»